JEAN-ÉRIC RIOPEL
DANS LA MAISON DE L'ESPRIT
Dans la maison de l'esprit aux verrières claires
Il est permis de passer à travers une journée
Seulement en faisant pivoter un os sur l'autre
En roulant près du comptoir en suivant lentement
Le déplacement du soleil sur les cactus empreints de bleu
De rouge de jaune selon les humeurs changeantes
Des verres colorés
Toutes feuilles toutes fleurs il est permis d'appeler
Par son nom de jeune fille ou par son nom latin
– En désespoir de cause on peut dire «plante»
On peut dire «feuille» on peut dire «fleur»
Mais alors une partie du charme est rompu
Et on ne pourra prendre fleur pour amante
Pas plus que feuille pour couverture que plante pour miroir
Qui des heures du mur au plafond dansent en sarabande
Prises par leur nom elles se donnent en entier
Et il n'est plus possible de les démembrer par le langage
– Sépale panicule vrille anthère – de les déshabiller
En ne signalant au passage effleuré du doigt
Que des parties succintes de leur anatomie
Indéfectible la fleur devient indissociable de la tige
La feuille de la plante la rosée de la peau charnue lisse ou poilue
Et on ne saurait passer sous silence les racines
Dans le tumulte de la terre – enfin dans leur totalité
Elles fléchissent légèrement
Quand le regard prête le pouvoir de les caresser
Streptocarpus Passiflore Jasmin en fleur Vinaigrier enflammé
Tilleul dans la rose des vents les ombres nagent sur le dos
Et font des longueurs sur la table – de la chaise
Il est permis de suivre le trajet d'un voilier amarré dans l'été
Plantes feuilles fleurs dans la maison de l'esprit
Ouvrez mon crâne jusqu'à sa fondation de pierre
Encore prenez-moi pour racine pour amant
Écrivez à votre tour mon nom sur vos lèvres
Mon nom latin ma langue vulgaire
in Fermeture des livres de comptes, © Écrits des Forges et Jean-Éric Riopel 2006
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Jean-Éric Riopel, archiviste de formation, a fait paraître cinq recueils de poésie et reçu le prix Émile-Nelligan, décerné a un jeune poète de moins de trente-cinq ans, pour son livre Papillons réfractaires (1999). Il est directeur de la revue de poésie Estuaire, publiée à Montréal. |