JOSÉ ACQUELIN
Perles de nuage & encre transparente
j’écrirai jusqu’à la nuit
où mes yeux cesseront
d’être une pluie sur le monde
deux soleils naîtront
je serai heureux de n’être plus
là pour les voir se donner
la lumière de ce qu’on a vu de beau
continuera toujours d’ouvrir
la blessure d’exister
j’aurai dit ce qu’il faut de faiblesse
pour avoir la ténacité de persister
à oublier ce qu’on attend de nous
quand le bonheur et le malheur s’entretuent
en tentant de nous faire croire des leurs
il vaut mieux être seul et ne pas dormir
j’ai assez attendu d’aubes
ces crépuscules de la nuit
pour savoir quand fermer ma lanterne
j’aurai raté très peu d’ivresses
contre la grisaillerie injectée
nous sommant au réalisme
j’aurai flotté entre conifères et corbeaux
ces bons connaisseurs de nuages
eux-mêmes grands maîtres du zéro
j’aurai accepté mon sous-sol schisteux
le seigle de mes cils le loup de mes yeux
et le lapis-lazuli de mes idéaux
j’aurai ouvert ma peau à mes os
mes os aux au-delà et mon ici
au nulle part ailleurs
j’aurai connu les formes du profond
le sans-fond des surfaces même
sans avoir la clé de mes mains
aurai confondu mégapoles et nécropoles
mots d’amour et amour des mots
béguins et bégonias
j’aurai compris les compromis
j’aurai banni les bannières
j’aurai honni les obséquieux
j’aurai très peu travaillé à la réalité
j’aurai élevé l’oisiveté à la contemplation
pour que parfois je vois la vue être vision
j’aurai réussi à m’étourdir
pour être saisi par l’évidence
personne n’est indéfiniment responsable
j’aurai poussé le bouchon
j’aurai repoussé les cuistres
j’aurai inversé les plafonds
j’aurai vu l’âme dont je suis l’ombre
j’aurai touché l’appel des mythes
jusqu’à la sphère du premier chiffre
j’aurai cru tous les oiseaux
et leur art de s’enlever de la terre
quand on veut les museler
j’aurai été un têtu du cœur
un puéril des paroles en péril
un garçon plein de douceur
et maintenant qu’un autre jour s’élève
qu’un autre train de vie siffle et passe
je me retire lentement de ce poème
et m’en vais me laisser boire par la lumière
*
José Acquelin, qui est animateur de soirées de poésie, publie régulièrement depuis plus de 20 ans. Parmi ses titres, on trouve L’oiseau respirable (1995), Là où finit la terre (1999) et L’absolu est un dé rond (2006). Son plus récent livre s’intitule Paradoxes de la fragilité (2008), un recueil de réflexions poétiques.
|